La corrida

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Présentation


Les «jeux taurins», éventuellement la mise à mort du taureau en public dans la corrida, sont sans doute une survivance des sacrifices d'animaux qui ont été si importants dans certaines cultures.
Dans le langage courant, corrida désigne de nos jours la course de taureaux telle qu'elle se pratique principalement en Espagne,Portugal, France et certains pays d'Amérique latine. Au cours d'une corrida, six taureaux (le plus généralement) sont combattus et mis à mort par des matadors aidés de peones et de picadors.
Au Portugal, la mise à mort en public est en principe interdite. Elle n'est effectuée que dans quelques communes, notamment à Barrancos ; ailleurs, la mise à mort est effectuée après le retour du taureau au toril.

Les Origines

 

Au Moyen Âge, les nobles organisent entre eux des chasses aux taureaux et des joutes équestres pendant lesquelles ils attaquaient le taureau à l’aide d’une lance. Ainsi, selon une chronique de 1124, des « fêtes de taureaux » ont lieu à Saldaña alors que Alphonse VII s'y trouve. La chronique rappelle également que Le Cid est lui-même friand de ces jeux.

Au XVIIe siècle, le succès d'une fête royale repose essentiellement sur un personnage inconnu dans les provinces du sud de la péninsule, le mata-toros, qui tue vraisemblablement l'animal d'un jet de javelot.

Plus tard, Charles Quint sera grand amateur de ce spectacle lorsqu'il se présente sous forme de joutes équestres, c'est-à-dire des « jeux de toros » répondant à des codes précis, dont l'habileté des cavaliers est rapportée par de nombreux traités.

Au cours des XVIe et XVIIe siècles, la tauromachie à cheval réservée à la noblesse se codifie peu à peu, pour en arriver notamment à la publication en 1643 du Traité d’équitation et diverses règles pour toréer de Don Gregorio de Tapia y Salcedo. Les cavaliers pratiquent un combat à l’aide de lances, ancêtre de la corrida de rejón et de la corrida portugaise modernes.

Les taureaux sont en général mis à mort par les cavaliers ; cette mise à mort est parfois effectuée par les valets à pieds. Il arrive également que le taureau ne soit pas immédiatement tué ; après le combat, il est livré à la populace qui s’en sert pour faire des jeux : pose et retrait de banderilles, sauts de pied ferme ou à la perche par-dessus le taureau, etc. Quand le taureau est trop affaibli pour que ces jeux restent possibles, il est mis à mort : on lui tranche les jarrets à l’aide d’une lame fixée au bout d’une perche ; il ne reste plus qu’à le tuer d'un coup d’épée.

À partir du XVIIe siècle, le principal acteur reste encore le cavalier, mais c’est désormais un varilarguero (« porteur de longue lance », par opposition aux nobles dont la lance était en fait une sorte de javelot). Au lieu de poursuivre le taureau, ou de se faire poursuivre par celui-ci, il l’attend de pied ferme pour l’arrêter avec sa lance, comme le font les picadors actuels.

Évolution jusqu'à la forme actuelle.

Dans les premières années du XVIIIe siècle, à Ronda, un certain Francisco Romero, à la fin d’une course, demande l’autorisation de tuer lui-même le taureau. Après l’avoir fait charger deux ou trois fois un leurre fait de toile, Francisco Romero estoque le taureau à l’aide de son épée. Par la suite, il recommence dans d’autres arènes et devient un véritable professionnel. Aussi Francisco Romero est-il généralement considéré comme « l’inventeur » de la corrida moderne, même s'il est possible que cette mise à mort du taureau par estocade ait été pratiquée avant lui. En 1726, Moratín écrit à ce sujet : « À cette époque-là, un homme commence à se faire remarquer : Francisco Romero, celui de Ronda, qui fut un des premiers à perfectionner cet art avec la muletilla, attendant le taureau face à face ». Ce fameux affrontement en face n'est autre que l'estocade a recibir que Romero expérimente avec succès.

Ses succès entraînent un changement radical dans l’art de toréer : avant lui, le personnage principal est encore le picador ; après lui, l’important n'est plus la mise à mort, mais ce qui la précède : elle n'est désormais plus que la fin du spectacle, non sa finalité.

À la suite de Francisco Romero, nombre de ses compatriotes se font aussi matadores de toros, notamment son petit-fils Pedro Romero, « Costillares » et « Pepe Hillo ». Ce dernier sera en 1796 l’auteur de La tauromaquia, o el arte de torear de pie y a caballo (« La tauromachie, ou l’art de toréer à pied et à cheval »), premier traité de tauromachie moderne.

Mais c'est avec Francisco Montes « Paquiro » que se met en place l’organisation de tous les intervenants de la corrida. Dans un traité rédigé en 1836, La Tauromachie ou l'art de toréer dans les plazas à pied comme à cheval

il organise en effet le spectacle dont le premier règlement officiel sera promulgué en 1852. Désormais, picadors et banderilleros ne sont plus que les subalternes du matador ; leur but est de permettre la mise à mort du taureau avec le maximum de chances de réussite possible. Les suertes devenues dès lors inutiles, telles que les sauts à la perche, disparaissent.

Outre « Paquiro », les principales figuras (« vedettes ») de cette époque sont « Cúchares », « Frascuelo » et « Lagartijo ».

C'est avec l'arrivée de l'impératrice Eugénie, d'origine espagnole, qu'apparaissent en France, à partir des années 1852-1853, les premières corridas à partir desquelles la vogue de ce spectacle va se développer dans le pays, jusqu'à l'implantation d'arènes à Paris, à l'occasion de l'Exposition universelle de 1889.

 

Les arènes

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À l'origine, les corridas avaient lieu sur des places publiques, fermées par des barrières ou des charrettes. Ces arènes de fortune existent encore, notamment à Ciudad Rodrigo, dans la province de Salamanque. À Madrid, elles se déroulaient sur la Plaza Mayor.
À partir du milieu du XVIIIeme siècle on commence à construire des plazas de toros (« places de taureaux », en français « arènes »), dédiées spécialement aux courses de taureaux. Les plus anciennes arènes encore en activité sont celles de Séville, ouvertes en 1761 ; viennent ensuite celles de Ronda ouvertes en 1786. La plaza de Las Ventas à Madrid a été ouverte en 1931.
En France, on organise des corridas dans les amphithéâtres romains de Fréjus, Arles et Nîmes. Ailleurs, il s'agit d'arènes modernes, construites sur le modèle espagnol.

 

Déroulement d'une corrida

 
Le sorteo


Le jour même de la corrida, à midi, a lieu le sorteo, répartition des taureaux entre les matadors par un tirage au sort. Le sorteo est fait en présence du président de la corrida et d'un représentant de chacun des trois matadors. Préalablement au sorteo, les représentants des matadors inspectent les taureaux, puis ils forment les lots en essayant de répartir les taureaux le plus équitablement possible en fonction de leurs facilités ou difficultés supposées. Les numéros des taureaux sont inscrits par paires sur de petits papiers (traditionnellement du papier à cigarettes) par le représentant du plus ancien des matadors ; les papiers sont ensuite roulés en boule par le représentant du matador le plus jeune, puis mis dans le chapeau du mayoral recouvert d'un journal. Chacun tire alors une boule par ordre d'ancienneté, le représentant du matador le plus ancien en premier.
Une fois déterminé le lot de chaque matador, c'est celui-ci qui décidera de l'ordre de sortie des deux taureaux qui lui ont été attribués.
Jusque vers la fin du xixe siècle, il n'y avait pas de sorteo : l'ordre de sortie était déterminé par l'éleveur lui-même; les éleveurs avaient pris l'habitude de faire sortir en cinquième position celui des taureaux dont ils pensaient qu'il serait le meilleur, d'où le dicton « No hay quinto malo ». (« Il n'y a pas de mauvais cinquième ».) Luis Mazzantini, Antonio Reverteet Guerrita imposeront ce tirage au sort : ils accusaient les éleveurs de favoriser tel ou tel torero.


L'apartado


Une fois le tirage au sort effectué, a lieu l'apartado : les taureaux sont séparés les uns des autres et placés un à un dans les chiqueros, cellules obscures d'environ trois mètres sur deux, dans lesquelles ils attendent l'heure de la corrida afin de pouvoir être lâchés dans l'arène au moment voulu.

A las cinco de la tarde


« En Espagne, la seule chose qui commence à l'heure, c'est la corrida ». Federico García Lorca, dans un superbe poème prémonitoire du Romancero Gitano, fait allusion à ce moment.


Le paseo


La corrida commence par un défilé de tous les participants: le paseo . À l'heure prévue, le président présente un mouchoir blanc ; aux accents d'un paso doble le cortège s'ébranle, précédé par les alguaziles, viennent au premier rang les trois matadors, classés par ordre d'ancienneté : à gauche (dans le sens de la marche) le plus ancien, à droite le deuxième d'ancienneté, au milieu le moins ancien. Si un torero se présente pour la première fois dans la «plaza », il avance tête nue, sinon il est coiffé du chapeau traditionnel la« montera». Derrière suivent les peones, également classés par ancienneté, puis les picadors, eux aussi classés selon l'ancienneté.
Viennent ensuite les areneros ou monosabios, employés des arènes qui ont pour fonction de remettre en état la piste entre deux taureaux.
Vient enfin le train d'arrastre, attelage de mules chargé de traîner la dépouille du taureau hors de l'arène.


La lidia


Puis vient l'heure du combat, en espagnol «lidia». Une corrida formelle comprend en principe la lidia de six taureaux. Pour chacun d'entre eux, elle se déroule selon un protocole immuable. Ce protocole est décomposé en trois parties, appelées tercios.


Premier tercio : le tercio de pique

Début de la lidia : passes de cape


Après la sortie du taureau, le matador ou le torero (non confirmé encore), et ses peones effectuent des passes de cape (capote en espagnol), pièce de toile généralement de couleur lie de vin à l'extérieur et jaune (ou bleu azur) à l'intérieur, qui sert de leurre. Ces premières passes de capote permettent au matador d'évaluer le comportement du taureau : corne maitresse, manière de charger, course, etc.

Entrée des picadors

Autrefois, le picador était le principal héros de la corrida, le plus attendu des toreros; les toreros à pied n'étaient que ses aides. Ce n'est que dans la seconde moitié du XVIII eme siècle qu'il a commencé à perdre sa suprématie, pour devenir au milieu du XIX ème subalterne du matador.
Le rôle du picador est de tester la bravoure du taureau à l'aide de sa pique, lance en bois de hêtre de 2,60 mètres de long terminée par une pointe d'acier : la puya.
En principe, il est appliqué deux piques minimum (il n'y a pas de maximum), mais en cas de taureau faible, le président peut réduire ce nombre à une seule. Lorsque par chance, le taureau fait preuve d'une bravoure exceptionnelle, une pique supplémentaire est parfois donnée avec le regatón : le picador prend sa pique à l'envers, et « pique » avec l'extrémité du manche, le regatón, et non avec la puya .


Deuxième tercio : le tercio de banderilles

Le deuxième tercio consiste à poser les banderilles bâtons d'environ 80 cm de long, terminés par un harpon de 4 cm de long et recouverts de papier de couleur.
Les banderilles sont généralement posées par les peones , mais certains matadors ou certains novilleros les posent eux-mêmes.
En principe, il est posé trois paires de banderilles. Toutefois, le président de la course peut décider d'en réduire le nombre ; le matador peut demander au président l'autorisation que soit posée une quatrième.
Dans le cas d'un taureau franchement « manso » (sans bravoure), en particulier un taureau qui a refusé toutes les piques et a fui les appels faits à la cape, le président peut décider de lui faire poser des banderilles noires, dont le harpon est légèrement plus long et qui sont une marque « d'infamie ».

Troisième tercio : le tercio de mise à mort.

 
La faena de muleta

La faena de muleta est le travail à pied du matador à l'aide d'un leurre en tissu rouge, la muleta. La faena de muleta prépare le taureau à la mort.

À l'origine, la faena de muleta se limitait à quatre ou cinq passes ; aujourd'hui, le matador qui en ferait si peu déclencherait une énorme bronca. Tout comme celles de capote, les passes de muleta sont innombrables. Les principales sont les suivantes:
La « naturelle » (espagnol : natural). La muleta est tenue dans la main gauche, le taureau chargeant depuis la droite du matador.
La « passe de poitrine » (espagnol : pase de pecho ou tout simplement pecho). La muleta est tenue dans la main gauche, le taureau chargeant depuis la gauche du matador.
Le « derechazo » (mot espagnol signifiant « de la droite »). La muleta est tenue dans la main droite et agrandie à l'aide de l'épée tenue elle aussi dans la main droite, le taureau arrivant de la gauche du matador. C'est donc, en quelque sorte, une « naturelle à l'envers ».
La « passe de poitrine de la droite ». De même que le derechazo est une
« naturelle à l'envers », la passe de poitrine de la droite est une « passe de poitrine à l'envers ».
Les « passes aidées ». La muleta tenue dans la main gauche est soutenue et agrandie à l'aide de l'épée tenue dans la main droite. L'exécution se rapproche de celle de la naturelle ; on peut également faire des passes de poitrine aidées.
Plus encore d'autres : la bandera (« drapeau »), le molinete (« moulinet »),
l'« orticina » (inventée par Pepe Ortiz), la « manoletina » (attribuée à « Manolete»).

Differentes passes 1

L'estocade

Ce tercio se termine par l'estocade à l'aide de l'épée.

Parfois, après l'estocade, le taureau tarde à s'écrouler. Le matador doit alors descabellar : il plante une épée spéciale (verdugo) entre la base du crâne et le début de la colonne vertébrale, au même endroit que celui où le puntillero plantera sa puntilla.


La puntilla

Après l'estocade (et éventuellement après le descabello), le coup de grâce est donné par l'un des peones (appelé puntillero) à l'aide d'une puntilla, poignard à lame courte et large, plantée entre la base du crâne et le début de la colonne vertébrale, afin de détruire le cervelet et le début de la moelle épinière .

Estocadas

Les avis


Le temps imparti au matador pour mettre à mort le taureau est limité : il est fixé en principe à un quart d'heure. Cinq minutes avant la fin du temps réglementaire le président fait donner le « premier avis » par une sonnerie de trompette. Trois minutes après le premier avis, « deuxième avis ». Deux minutes plus tard sonne le « troisième avis » : le matador doit se retirer derrière la barrière, le taureau est ramené au toril où il sera abattu. Laisser sonner les trois avis est considéré comme la pire honte que puisse connaître un matador.
Pourquoi quinze minutes ? Il est souvent affirmé qu'au-delà de cette durée le taureau comprend que son véritable adversaire n'est pas la muleta mais l'homme qui tient la muleta (le taureau ne perçoit pas les couleurs et les mouvements de la même façon que l'homme, ce qui permet durant un temps de le leurrer), c'est pourquoi il doit être tué avant qu'il se rende compte du subterfuge;
D'autres estiment que tous les taureaux n'ont pas forcément compris le subterfuge au bout d'un quart d'heure, et qu'il faudrait autoriser un matador à prolonger le spectacle, s'il voit que le taureau met plus qu'un quart d'heure à comprendre. Ils pensent également que le matador devrait être autorisé à démontrer le temps de compréhension du taureau.
Le quart d'heure règlementaire n'est toutefois pas respecté partout de la même façon, et le décompte ne commence pas partout au même moment.
Autrefois en Espagne et en France, les quinze minutes étaient décomptées à partir de la première passe de muleta. Depuis 1991, elles le sont à partir du moment ou le président donne l'ordre de changer de tercio.
Au Mexique, les avis sont décomptés à partir de la première tentative d'estocade. Le matador dispose donc, non d'un quart d'heure, mais d'un temps illimité jusqu'à la première tentative d'estocade, puis de sept minutes à compter de ce premier essai. Cette spécificité n'est pas due aux taureaux eux-mêmes, car certains élevages mexicains ont été constitués récemment à partir de taureaux importés d'Espagne ; dans plusieurs corridas au Mexique, les taureaux sont espagnols.
En Andalousie, depuis le 1er avril 2006, le premier avis est en principe sonné dix minutes après le changement de tercio, comme partout ailleurs en Espagne ou en France. Mais si le matador tente une estocade moins de huit minutes après la première passe de muleta, le premier avis est sonné deux minutes après. Le président doit donc avoir deux chronomètres : un qu'il lance lorsqu'il fait sonner le changement de tercio pour décompter les dix minutes, l'autre qu'il lance lors de la première tentative d'estocade si elle intervient avant la huitième minute, pour décompter les deux minutes restantes. En Andalousie, une tentative d'estocade accélèrerait donc la vitesse d'apprentissage du taureau. Et la règle est la même pour le taureau andalou, castillan ou portugais. Et partout ailleurs en Espagne ainsi qu'en France, un seul chronomètre reste nécessaire pour tous les taureaux.
Selon la qualité de la prestation du matador, le président pourra adapter à sa convenance les dix minutes. Si la prestation du matador ne plaît pas au public, nombre de spectateurs crieront « aviso, aviso », et le président n'attendra pas que six cents secondes se soient écoulées pour faire sonner les dix minutes. De même, si la prestation plaît au public, le président pourra laisser au matador quelques minutes de plus.
Une autre explication est parfois avancée : la limite des quinze minutes obligerait le matador à briller en privilégiant la qualité de ses passes. Cette explication n'est toutefois pas non plus satisfaisante, dans la mesure où un matador peut enchaîner en moins de dix minutes un nombre important de passes très médiocres. À l'inverse, les admirateurs de « Gitanillo de Triana », matador des années 20, soutenaient que leur idole arrêtait le temps.


Appréciation d'une corrida par le public

 

Les courses de taureaux semblent susciter chez chaque spectateur une gamme étendue d’émotions qui vont de l’enthousiasme passionné au plus profond malaise. Mais de cette vaste anthologie de réactions reste exclue l’indifférence. On est pour les corridas de taureaux ou l’on est contre. En matière taurine, la neutralité n’existe pas. Chacun percevra et racontera sa corrida différemment Mais je tiens à vous prévenir que l’objectivité avec laquelle on peut la raconter est seulement apparente. Il y manque les cris et les couleurs de l’après-midi, le poids infime du vent sur les gradins, la rumeur de la multitude, en un mot l’ensemble du spectacle. Une course de taureaux est, vue sous un certain angle, une anthologie de gestes héroïques, modelés rigoureusement d’après des normes esthétiques. On peut dire de plus que la caractéristique de l’héroïsme réside en la fugacité de l’action. Une passe de cape, un geste de muleta, une feinte de ceinture sont des attitudes fugaces qui ne peuvent être reproduites exactement. Le torero n’est pas un acteur. Il ne peut se déguiser, il ne peut s’exercer, il ne peut répéter. Le torero improvise pour la très simple raison que le taureau est chaque fois différent, nouveau, vierge. Le torero a des mouvements dans la tête, des mouvements idéaux qu il tend à réaliser et rien de plus. Comme dans la « Commedia dell’Arte », il sait ce qui va se passer, mais il ignore comment cela va se passer. Il improvise. Il est inspiré ou il ne l’est pas. Il est en présence d’un interlocuteur valable ou il ne l’est pas.

Parmi les éléments qui permettront d'évaluer le spectacle on trouve traditionnellement :
Le courage de l'homme : le matador prend des risques et doit affronter sans fléchir un animal dont la force est considérable, même si le combat et les picadors ont affaibli - dans une certaine mesure - le taureau.
La bravoure de l'animal : le taureau de combat appartient à une espèce spécialement sélectionnée pour son agressivité et pour sa bravoure ; sa charge et sa volonté de combattre tout adversaire sont appréciées.
L'autorité de l'homme sur l'animal : les aficionados apprécient la capacité du matador à dicter sa volonté au taureau en lui imposant ses charges et en l'amenant à suivre aveuglément le leurre.
L'élégance : les passes de capote et de muleta sont des mouvements très codifiés; pour les aficionados, leur ensemble constitue une véritable œuvre d'art.
L'efficacité : une mise à mort « approximative » peut facilement dégrader un spectacle par ailleurs bien mené. Il faut toutefois préciser que, comme dans bien d'autres domaines, la manière compte plus que le résultat. Une tentative d'estocade sincère, faite en respectant les canons, mais ratée car la pointe de l'épée a buté sur l'omoplate, sera applaudie ; une épée pénétrant jusqu'à la garde à la suite d'une estocade faite en violation de tous les principes sera condamnée.

S'ils ont apprécié la prestation du matador, les spectateurs réclament au président que lui soient accordées une, voire deux oreilles, et même deux oreilles et la queue. Pour ce faire, ils doivent agiter un mouchoir blanc, mais l'expérience montre que nombre de spectateurs (surtout en France) se contentent de crier, siffler ou applaudir. Le président accorde une oreille, deux oreilles, deux oreilles et la queue en présentant un, deux ou trois mouchoirs blancs. Les trophées sont coupés sous la surveillance de l'alguazil qui les remettra au matador après que la dépouille du taureau aura été tirée hors de la piste. Il ne reste plus au matador qu'à faire une vuelta al ruedo : il fait le tour de la piste en longeant la barrière et salue le public ; les spectateurs les plus enthousiastes lui envoient des bouquets de fleurs, des cigares, leur chapeau, leur foulard etc. Le matador garde les fleurs et les cigares, et renvoie les chapeaux, foulards, etc., à leur propriétaire.
Si aucune oreille n'a été accordée, le public pourra toutefois, par ses applaudissements nourris et répétés, demander au matador de « saluer à la barrière » (le matador entre en piste et salue le public en restant à proximité de la barrière), de saluer « au tiers » (le matador s'avance à mi-chemin de la barrière et du centre de la piste), de saluer « du centre » (le matador salue en s'avançant jusqu'au centre de la piste), voire de faire une « vuelta al ruedo ».
Si la prestation du matador a été fort peu appréciée, elle peut entraîner une bronca : les spectateurs mécontents crient, sifflent, et il peut même arriver que certains jettent des bouteilles sur la piste. (Un tel geste est largement condamné par les aficionados.) Parfois la réaction est pire pour le matador que la plus forte des broncas : le silence.
Si le taureau a été exceptionnellement bon, le président pourra lui accorder à lui aussi une vuelta al ruedo en présentant un mouchoir bleu. Et s'il a été plus qu'exceptionnellement bon, le président pourra, avant l'estocade, ordonner sa grâce en présentant un mouchoir orange El indulto.
Quand le matador a fini de saluer, il ne reste plus au président qu'à sortir son mouchoir blanc afin d'ordonner l'entrée en piste du taureau suivant.
En fin de corrida, les matadors quittent l'arène l'un après l'autre, par ordre d'ancienneté. Si l'un d'entre eux a été particulièrement brillant, il sortira a hombros, sur les épaules de ses admirateurs. Peut-être - récompense suprême - sera-t-il autorisé à sortir par la Grande Porte. À Séville, il devra pour cela avoir coupé trois trophées (soit trois oreilles, ou deux oreilles et une queue) au minimum ; à Madrid, deux trophées suffiront (étant généralement admis que si une seconde oreille madrilène et une seconde oreille sévillane ont environ la même valeur, la première oreille madrilène en a bien plus que la première oreille sévillane) ; ailleurs, c'est selon le sérieux de l'organisation, le niveau d'exigence et de compétence du public, les coutumes locales.