Cagancho

cagancho-1.jpg CAGANCHO LE CHEVAL TORERO  

J'ai souvent surnommé affectueusement mes chevaux « Cagancho ». Quand on aime l' art du rejoneo, on a été forcement influencé par ce cheval hors du commun devenu plus qu'une référence dans la corrida équestre. c'est un peu grâce à lui que les corridas de rejon ont connu un regain de succès et que toutes les grandes arènes les incluent systématiquement dans leurs cartels. Et le plus souvent on affiche « No hay Billetes » quand les cavaliers sont programmés dans ces arènes, comme au bon vieux temps des années soixante-dix, où on se bousculait pour voir « les cavaliers de l' apothéose », les frères Angel et Rafael Peralta, Alvaro Domecq et Jose Samuel Lupi.

Pablo Hermoso de Mendoza, au début de sa carrière en 1990 l'achète à quatre ans pour un prix modique à Brito Paez. De robe bai brune, avec quatre balzanes, il est de race Lusitanienne de l' élevage Veiga. Il est le fils de Nilo et d' Evora, une jument sans papier. Il le baptise lui même : Cagancho, en souvenir du génial torero gitan Joaquin Rodriguez. Cagancho, peu prometteur au début se révélera un véritable torero. Il combattra pendant douze ans, dans plus de sept cent arènes. Il sera blessé cinq fois, dont trois fois grièvement dans la croupe droite. Maintenant à la retraite, depuis 2002, il fait la monte chez son cavalier dans sa propriété d'Estella près de Pampelune. 

J' ai lu beaucoup d'articles sur Cagancho, mais celui qui me semble lui rendre le meilleur hommage est celui paru dans le Libération du 12 juillet 2002 et écrit par Jacques Durand :

 

Cagancho, un torero prend sa retraite

  

Le 18 mai dernier à Madrid vers 20 h 45, lorsque le rejoneador Pablo Hermoso de Mendoza est apparu monté sur le légendaire Cagancho pour banderiller son toro, une énorme clameur est tombée de Las Ventas. Elle était pour le cheval. Cinq minutes plus tard Mendoza a sauté de la selle et a laissé galoper Cagancho qui est rentré seul et libre dans la cour des arènes. A la fin de son combat, Mendoza l'a ressorti, a pris un petit ciseau et a coupé quelques crins de sa crinière parce que, lorsqu'un torero fait ses adieux, il se coupe la mèche de cheveux postiche qui marque son état. Puis Mendoza a embrassé Cagancho et, en larmes, lui a parlé à l'oreille avant de faire avec lui un tour de piste. En hommage, le torero à cheval portugais João Moura a enlevé son tricorne et l'a posé sur sa selle. Cagancho faisait ses adieux à Madrid comme il les avait faits le 16 avril à Séville, où Mendoza était prêt à le faire sortir par la Porte du Prince s'il avait coupé une troisième oreille et comme il les a faits samedi 6 juillet chez lui à Pampelune. Mendoza a dessellé Cagancho qui a quitté la scène pendant que les Pamplonais se cassaient les mains et la voix à l'applaudir et à l'ovationner. On ne le verra plus, sauf peut-être l'an prochain exceptionnellement dans une seule arène.

Un charisme ensorceleur. Le cheval Cagancho restera dans l'histoire de la tauromachie comme un torero de génie, et les critiques taurins les plus flegmatiques ont vu, dans ses larges hanches noires, la solennité de la cape d'Ordoñez, le temple classique d'Antoñete, la muleta rythmée de Curro Romero, l'intrépidité de Ruiz Miguel. Pendant une dizaine d'années, le charisme de Cagancho a rempli les plazas de toros d'aficionados sensibles ou non au rejoneo. Ils venaient voir Cagancho ensorceler les toros dans sa queue et les toréer avec sa grande croupe souple comme une muleta vivante. Cagancho, ses paturons blancs comme des chaussettes, son tempérament et son légendaire galop de côté a révolutionné l'art du rejon avec le Navarrais Pablo Hermoso de Mendoza «le plus grand cavalier du monde» criaient les affiches de Cali, en Colombie. Les deux ont bourré toutes les arènes, d'Arles à Mexico, de Madrid à Lisbonne, et jusqu'à Monterrey au Mexique, plaza remplie une seule fois, il y a trente ans, par El Cordobes.

Pourtant, durant l'été 1990, lorsque Mendoza, fils d'une commerçante et d'un négociant de chevaux d'Estella, près de Pampelune, est revenu chez lui avec Cagancho, on s'est moqué de ce lusitanien trop haut, un peu grossier, trop pansu et souffrant d'ulcères à ses sabots. Pablo, modeste torero à cheval, l'avait acheté à Golega, au Portugal, pour environ 10 000 francs. Une misère vu son pedigree. Cagancho est né à «Quinta de Broa» dans la légendaire famille Veiga où l'on élève des chevaux depuis cent soixante et onze ans. Il est fils du célèbre étalon Nilo, devenu par la suite propriété de l'Etat portugais, et petit-fils du non moins réputé Firme. Ses cousins se nomment Opus, grand cheval torero d'Alvarito Domecq, et Neptune, star de l'écurie du rejoneador Vidrié. Au cours de l'hiver, Mendoza le dresse pour rendre ses mouvements harmonieux malgré son physique et son apparente lourdeur. Cagancho est un cheval «collé au sol» et aussi «compliqué dans la bouche». A l'entraînement, il a peur des vaches, il les tamponne ou se fait tamponner par elles. A Estella, on surnomme «Matavacas» ­ «tueur de vaches» ­ celui que son maître a baptisé Cagancho, sobriquet du torero gitan Joaquin Rodriguez et mot qui désigne en langue «calé» un oiseau chanteur.

Un athlète danseur. Au début des années 90, Cagancho fait ses débuts à Egéa de Los Caballeros, avec les banderilles courtes. Mais Mendoza s'aperçoit à Ampuero qu'il répond mieux avec les longues. Il lui apprend à attaquer de face, à charger la suerte, découvre chez lui sa capacité à galoper de côté et se rend compte un jour à Séville qu'il peut toréer avec sa croupe et changer brusquement de terrain comme dans une trinchera. Pendant plusieurs années, il peaufine avec lui cette figure et la réalise parfaitement trois ans plus tard à Saragosse. Pour Olivier Arnal, ami de Mendoza et dresseur de chevaux sur le Larzac, le «génie» du cavalier navarrais a consisté à attendre patiemment que le cheval découvre ses propres capacités, à le mettre à l'aise et à le laisser toréer à sa manière, et non à lui imposer la sienne. Selon lui, «Mendoza a fabriqué Cagancho et réciproquement».

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Et le charisme de Cagancho ? Il serait dans la sublimation de ses défauts. Sa lenteur devient du temple et avec ses antérieurs largement ouverts son galop balourd devient un atout exceptionnel dans le cite. Un athlète danseur. Même alchimie avec sa peur. Mendoza : «Cagancho est un cheval supérieurement peureux, et cette peur enflamme le public parce qu'il montre qu'il a peur et qu'il se joue quand même la vie.» Voir Cagancho immobile et frissonnant de toute sa robe noire attendre, à un mètre cinquante, l'attaque des toros avant de les esquiver comme un papillon s'envole ou comme si ses pattes blanches en dessous d'un sac de charbon étaient quatre nuages en a bouleversé plus d'un.

«Un authentique torero». A Séville, en avril 1998, le public obligera Mendoza à ressortir son cheval pour mettre une paire supplémentaire de banderilles. A partir de 1994 et d'un grand succès à Colmenar, Mendoza et Cagancho s'imposent partout, la rumeur légendée s'en empare. On murmure que la famille rivale des Domecq a voulu acheter le cheval pour l'écarter du circuit. On dit que des Américains voulaient l'acquérir. On parle de 7 millions de francs. Mendoza, qui a découvert la corrida à cheval à la télévision, balaye tout sur son passage avec son exceptionnelle écurie dont Cagancho est la star. Il a coupé une queue à Séville, chez les Domecq, le 25 avril 1999 alors qu'il ne s'était pas coupé de queue dans la Maestranza depuis vingt-huit ans. Il en a coupé une à Mexico le 5 février 2000 au terme d'une saison où il a toréé soixante-quatre corridas, pulvérisant le record de El Cordobes, champion espagnol des corridas au Mexique.

De Cagancho, son maître dit qu'il est «un authentique torero» et qu'avec lui «il se sent vraiment torero». C'est un cheval affable et débonnaire, plus docile que son demi-frère Chicuelo. Chicuelo, autre vedette de l'écurie, «a une façon plus personnelle de toréer», Cagancho, lui, «se laisse mener aveuglément, mais il absorbe la violence du toro et la transforme en harmonie.» La façon de toréer très près du toro et en liant les figures qu'a imposées le génie de ce couple fait le lien entre les derniers monstres de la tauromachie à pied, Ojeda et Tomas, à qui Mendoza a offert un poulain de Cagancho. Eux continuent. Lui, à 16 ans, a arrêté, il broute l'herbe d'Estella, ses saillies valent de l'or, il mourra de vieillesse chez lui et sera enterré sous les chardons de la Navarre.


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En juillet 2006, pour le vingt-cinquième anniversaire de la Feria du cheval des Saintes et de Mejanes rebaptisé Le Festival du Cheval, le nom de Cagancho, star de l'arène qui triompha si souvent au Saintes s'est imposé comme parrain incontournable de la manifestation.

 

 

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 Pablo et Cagancho !